Dumbledore entra dans la pièce tandis que Mrs Cole refermait la porte derrière eux. C'était une petite chambre nue qui ne comportait qu'une vieille armoire, une chaise en bois et un lit en fer. Un garçon était assis sur les couvertures grises, les jambes étendues devant lui, tenant un livre à la main.
Le visage de Tom ne possédait aucun trait disgracieux. Le dernier voeu de sa mère avait été exaucé: c'était le portrait miniature de son bel homme de père. Le teint pâle et les cheveux bruns, il était grand pour un garçon de onze ans. Ses yeux se plissèrent légèrement lorsqu'il vit la tenue exantrique de Dumbledore. Il y eut un moment de silence.
- Comment vas-tu, Tom? demanda Dumbledore en s'approchant la main tendue.
Le garçon hésita puis lui serra la main. Dumbledore tira l'unique chaise en bois dur qui se trouvait dans la pièce et s'assit à côté de lui. Ils avaient l'air à présent d'un malade et d'un visiteur dans un hôpital.
- Je suis le professeur Dumbledore.
- Professeur? répéta Jedusor.
Il paraissait méfiant.
- C'est un peu comme docteur, non? Qu'est-ce que vous êtes venu faire ici? C'est elle qui vous a amené pour m'examiner?
Il montra du doigt la porte par laquelle Mrs Cole venait de sortir.
- Non, non, répondit Dumbledore avec un sourire.
- Je ne vous croit pas, répliqua Jedusor. Elle veut qu'on m'examine, c'est ça? Dites la vérité.
Il prononça ces trois derniers mots d'un ton claironnant qui avait presque quelque chose de choquant. C'était un ordre qu'il semblait avoir souvent donné auparavant. Ses yeux s'étaient écarquillés et, de son regard noir, il fixait Dumbledore qui ne réagit pas, continuant simplement de sourire aimablement. Quelques secondes plus tard, Jedusor cessa de l'observer mais parut encore plus méfiant.
- Qui êtes vous?
- Je te l'ai dit. Je suis le professeur Dumbledore et je travaille dans une école qui s'appèle Poudlard. Je suis venu te proposer une place dans cette école -ta nouvelle école si tu accepte de venir.
Jedusor eut une réaction des plus surprenantes. Il sauta sur son lit et recula le plus loin possible de Dumbledore, l'air furieux.
- N'essayez pas de me raconter des histoires! L'asile, c'est là que vous venez n'est-ce pas? Professeur, oui, bien sûr -eh bien je n'irais pas, compris? C'est cette vieille pie qui devrait y être à l'asile. Je n'ai jamais rien fait à la petite Amy Benson ou à Denniis Bishop, vous pouvez le leur demander, ils vous le confirmeront!
- Je ne viens pas de l'asile, dit Dumbledore avec patience. Je suis un enseignant et si tu veux bien t'assoir calmement, je te parlerais de Poudlard. Mais bien sûr, si tu préfères ne pas y aller, personne ne t'y forcera...
- Ils n'ont qu'à essayer de m'y envoyer, ils verront bien, lança Jedusor d'un ton railleur.
- Poudlard, continua Dumbledore comme s'il n'avait pas entendu, est une école réservée à des élèves qui ont des dispositions particulières.
- Je ne suis pas fou!
- Je sais bien que tu n'es pas fou. Poudlard n'est pas une école pour fous. C'est une école de magie.
Il y eut un silence. Jedusor s'était figé, le visage sans expression mais son regard se fixait alternativement sur chacun des yeux de Dumbledore, comme s'il essayait de déceler le mensonge dans l'un d'eux.
- De la magie? répéta-t-il dans un murmure.
- Exactement, dit Dumbledore.
- C'est... c'est de la magie ce que j'arrive à faire?
- Qu'est-ce que tu arrive à faire?
- Toutes sortes de choses, répondit Jedusor dans un souffle.
Sous le coup de l'excitation, une rougeur monta de son cou vers ses joues creuses. Il paraissait fébrile.
- J'arrive à déplacer les objets sans les toucher. Les animaux font ce que je veux sans que j'aie besoin de les dresser. Je peux attirer des ennuis aux gens qui me déplaisent. Leur faire du mal, si j'ai envie.
Ses jambes tremblaient. Il s'avança d'un pas vacillant et se rassit sur le lit, regardant ses mains, la tête baissée comme s'il priait.
- Je savais que j'étais différent des autres, murmura-t-il, les yeux fixés sur ses doigts frémissants. Je savais que j'étais exceptionnel. J'ai toujours su qu'il y avait quelque chose de spécial en moi.
- Eh bien, tu avais raison, dit Dumbledore, qui ne souriait plus mais observait intensément Jedusor. Tu es un sorcier.
Jedusor releva la tête. Son visage était transfiguré: on y lisait un bonheur effréné qui n'ajoutait rien à sa beauté pour autant. Au contraire, ses traits finement dessinés semblaient à présent plus grossiers, son expresion plus bestiale.
- Vous aussi vous êtes sorcier?
- Oui.
- Prouvez le, exigea Jedusor, du même ton impérieux que lorsqu'il avait lancé: 'Dites la vérité.'
Dumbledore haussa un sourcils.
- Si, comme je le crois, tu acceptes de prendre ta place à Poudlard...
- Bien sûr que j'accepte!
- Tu devras m'appeler professeur, ou monsieur.
Le visage de Jedusor se durcit très fugitivement puis d'une voix polie qu'on ne reconnaissait pas, il répondit:
- Je suis désolé, monsieur... S'il vous plait, professeur, pourriez vous me montrer...
Dumbledore aurait pu refuser, répondre à Jedusor qu'ils auraient tout le temps à Poudlard de se livrer à de telles démonstrations, que pour l'instant, ils étaient dans une maison pleine de Moldus et devaient donc se montrer prudent. Mais il sortit sa baguette magique d'une poche intérieure de sa veste, la pointa vers l'armoire minable qui se trouvait dans un coin et donna une petite secousse d'un geste désinvolte.
Aussitôt l'armoire prit feu.
Jedusor se leva d'un bon. Au lieu de se mettre en rage et d'hurler d'indignation car tout ce qu'il possédait devait se trouver là, il avança le regard noir vers Dumbledore, mais au moment où il s'approcha, les flammes s'évanouirent, laissant l'armoire intacte.
Jedusor regarda successivement l'amoire puis Dumbledore. Avec une expression avide, il montra alors la baguette magique.
- Où est-ce que je peux en avoir une comme ça?
- On verra en temps utile, répondit Dumbledore. Pour l'instant je crois que quelque chose essaie de sortir de ton armoire.
En effet, un faible grattement s'en échappait. Pour la première fois, Jedusor parut effrayé.
- Ouvre la porte, dit Dumbledore.
Jedusor hésita puis il traversa la porte et ouvrit brusquement la porte de l'armoire. Sur la plus haute étagère, au-dessus d'une tringle à laquelle étaient suspendus des vêtements usés jusqu'à la corde, une petite boîte en carton tremblait et bruissait comme si des souris enfermées à l'intérieur essayaient frénétiquement de s'en échapper.
- Sors-la de l'armoire.
L'air décontenancé, Jedusor prit la boîte qui continua de trembloter entre ses mains.
- Y-a-t-il dans cette boîte des choses qui ne devraient pas être en ta possession? demanda Dumbledore.
Jedusor lui jetta un long regard, clair et calculateur.
- Oui, c'est possible, monsieur, dit-il enfin, d'une voix neutre.
- Ouvre la, ordonna Dumbledore.
Jedusor ôta le couvercle et vida sur le lit le contenu de la boîte sans même y jetter un coup d'oeil. Un bric à brac de petits objets se répendit parmi lesquels un yo-yo, un dé à coudre en argent et un armonica terni. Dès qu'ils furent libérés de la boîtes, les objets cessèrent de trembler et restèrent parfaitement immobiles sur les couvertures.
- Tu les rendras à leur propriétaires avec tes excuses, dit Dumbledore d'une voix calme en rangeant sa baguette dans la poche de sa veste. Je saurais si tu l'as fait ou pas. Et tu dois être prévenu, le vol n'est pas toléré à Poudlard.
Jedusor ne fut pas gêné le moind du monde. Il continua d'évaluer Dumbledore d'un regard froid. Enfin, il dit d'une voix sans timbre:
- Bien, monsieur.
- A Poudlard, poursuivit Dumbledore, on apprend non seulement à se servir de la magie mais à la contrôler. Tu as -par inadvertance, j'en suis sûr- fait usage de tes pouvoirs d'une manière qui n'est ni enseignée, ni acceptée dans notre école. Tu n'es pas le premier, et tu ne seras pas le dernier, à te laisser emporter par tes dons de sorcier. Mais tu dois savoir que Poudlard peut très bien exclure des élèves et que le ministère de la magie -oui, il existe un ministère- punit encore plus sévèrement ceux qui violent la loi. Tous les nouveaux sorciers doivent accepter, lorsqu'ils entrent dans notre monde, de se soumettre à ces lois.
- Oui, monsieur, répéta Jedusor.
Il était impossible de deviner ce qu'il pensait. Son visage était dénué d'expression pendant qu'il remettait dans la boîte en carton son petit butin d'objets volés. Quand il eut terminé, il se tourna vers Dumbledore et dit sans détour:
- Je n'ai pas du tout d'argent.
- On peut aisément y remédier, assura Dumbledore en sortant de sa poche une bourse en cuir. Il y a un fonds à Poudlard spécialement destiné à ceux qui ont besoin d'assistance pour se procurer des livres et des robes de sorciers. Tu devras sans doute acheter certains de tes grimoires d'occasion mais...
- Où achète-t-on des grimoire? interrompit Jedusor qui avait pris la bouse bien garnie sans remercier Dumbledore et examinait à présent un gros Gallion d'or.
- Sur le chemin de Traverse, répondit Dumbledore. J'ai sur moi la liste de tes livres et de tes fournitures scolaires. Je peux t'aider à trouver tout ce qu'il te faut...
- Vous allez venir avec moi? demanda Jedusor en levant les yeux.
- Certainement, si tu...
- Je n'ai pas besoin de vous, coupa Jedusor. J'ai l'habitude de faire les choses moi-même. Je me promène tout le temps dans Londre's. Comment s'y prend-on pour aller sur ce Chemin de Traverse? ajouta-t-il en croisant le regard de Dumbledore.
Dumbledore n'insista pas pour l'accompagner, il tendit une enveloppe à Jedusor. Elle contenait la liste et après lui avoir expliqué exactement comment se rendre au Chaudron Baveur depuis l'orphelinat, Dumbledore précisa:
- Tu le verras alors que les Moldus autour de toi -les gens qui n'ont pas de pouvoirs magiques- ne remarqueront rien du tout. Tu demanderas Tom le barman -c'est facile à retenir, il a le même prénom que toi.
Jedusor eut un mouvement d'impatience, comme s'il essayait de chasser une mouche qui l'importunait.
- Tu n'aime pas ce prénom de Tom?
- Il y a beaucoup de Tom, marmona Jedusor.
Puis incapable de réprimer l'envie de poser la question, comme si elle surgissait malgré lui, il demanda:
- Est-ce que mon père était sorcier? On m'a dit qu'il s'appelait lui aussi Tom Jedusor.
- J'ai bien peur de ne pas le savoir, répondit Dumbledore d'une voix douce.
- Ma mère n'avait sûrement pas de pouvoirs magiques, sinon elle serait pas morte, dit Jedusor, plus à lui-même qu'à Dumbledore. C'est sans doute lui, le sorcier. Et une fois que j'aurais acheté mes affaires, quand est-ce que j'irais à Poudlard?
- Tous les détails sont indiqués sur le deuxième parchemin de ton enveloppe, dit Dumbledore. Tu partiras de la gare de King's Cross le 1er septembre. Il y a aussi un billet de train.
Jedusor acquiessa d'un signe de tête. Dumbledore se leva et tendit à nouveau la main. En la serrant, Jedusor dit:
- Je sais parler aux serpents. Je m'en suis apperçu quand nous sommes allés en excursion à la campagne. Ils viennent me voir et ils me murmurent des choses. C'est normal pour un sorcier?
Jedusor avait attendu ce moment pour mentionner ce très étrange pouvoir, décidé à impressionner son interlocuteur.
- C'est inhabituel, répondit Dumbledore après un moment d'hésitation, mais ça s'est déjà vu.
Il avait parlé d'un ton dégagé mais ses yeux détaillent le visage de Jedusor d'une étrange manière. L'homme et le jeune garçon restèrent un moment face à face, se regardant fixement. Puis leur mains se séparèrent. Dumbledore s'avança vers la porte.
- Au revoir, Tom. Je te reverrais à Poudlard.
- Extrait de Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé -